Il n'était pas facile de renouveler cette matière et, cependant, il n'est pas impossible que l'auteur ait réussi parfois à se montrer original. Et d'abord parce qu'il mène une vie de solitaire et que ce pays, où la plupart semblent subsister à l'aise, est à ses yeux une terre inconnue : de là l'étonnement perpétuel, qui fait le fond de sa démarche et que l'adulte perd en perdant l'innocence. II tient passablement des docteurs en théologie, dont la science était profonde et ta naïveté très surprenante : il s'interroge sur les gestes les plus naturels, comme s'il les jugeait hors de tout ordre et partant il découvre leurs aspects les plus étranges. Pourquoi désirons-nous ? Pourquoi jouissons-nous ? Mon sexe est-il moi-même ou l'étranger en moi, si ce n'est l'ennemi par excellence ? A quel moment se rend-on vicieux et dans quel endroit devient-on coupable ? Existe-t-il une mesure, où tout paraît se dériver d'un lot de conventions archaïques ? Et ces conventions ôtées, en sommes-nous plus libres ? Et comme si ce n'était pas assez, l'auteur promène ses regards sur la religion et sur la politique, y discernant une relation de convenance avec les penchants les moins avouables et découvrant dans leurs mystères l'effet de nos conduites et la punition de nos vertus. Car tout se paie et le progrès moral est l'édifice le plus ruineux qui soit, parce qu'il violente la nature et que son entretien perpétuel lève un impôt sur ce que nous avons de plus profondément humain. Ainsi les choses se compensent et l'on a beau gagner sur un tableau, qu'on en reperd autant sur l'autre. Les Anciens parlaient de démesure, la démesure est notre lot et la magie verbale, que nous opposons aux faits, n'y change rien, dût-elle pacifier notre conscience. Enfin l'idée de l'homme est en procès et c'est pourquoi tous les raisonnements sont à refaire, il faut improviser une sagesse qui soit à l'échelon des oeuvres dont nous vivons entourés et nous devons être plus sages que les rédempteurs et les prophètes, car à cette heure leur leçon ne nous est plus d'aucun secours. Ou nous serons à la mesure des moyens tous admirables, qui nous égalent presqu'aux dieux, ou nous consentirons à disparaître, au nom de traditions devenues insoutenables et de préceptes devenus caducs. Notre morale sera naturelle ou bien c'est l'homme qui ne sera pas, nous devons retrouver le chemin de la source et reconquérir sur nos idéals un droit à l'harmonie, en mariant le ciel avec l'enfer et notre transcendance avec notre animalité.
